Depuis janvier 2025, la suppression de la quasi-immunité des administrateurs bouleverse le paysage juridique belge et multiplie les risques de mise en cause personnelle des dirigeants d'entreprise. Vous êtes gérant, administrateur ou dirigeant de fait, et vous vous demandez dans quelles circonstances votre patrimoine personnel pourrait être engagé pour les dettes de votre société ? Maître Innocent TWAGIRAMUNGU, avocat expérimenté à Bruxelles depuis 2005, accompagne régulièrement des dirigeants confrontés à ces problématiques complexes et vous aide à comprendre les mécanismes de protection existants.
Le principe de responsabilité limitée constitue la pierre angulaire du droit des sociétés belge. En théorie, lorsque vous dirigez une société dotée de la personnalité juridique comme une SRL, votre patrimoine personnel reste distinct de celui de l'entreprise. Les dettes contractées par la société n'engagent que son patrimoine propre, pas le vôtre.
Depuis la réforme de 2025, ce principe connaît toutefois des limites importantes. Le nouveau livre 6 du Code civil permet désormais aux tiers d'engager directement votre responsabilité extracontractuelle, mettant fin à des décennies de protection quasi-absolue. Cette évolution s'accompagne d'un encadrement strict des montants de responsabilité selon la taille de votre entreprise. De plus, les victimes peuvent dorénavant choisir le régime le plus favorable entre action contractuelle et extracontractuelle, tout en vous laissant conserver vos moyens de défense contractuels même en cas d'action extracontractuelle.
Les plafonds de responsabilité varient considérablement : 125.000 euros pour les petites entreprises avec un bilan inférieur à 175.000 euros et un chiffre d'affaires inférieur à 350.000 euros, jusqu'à 12 millions d'euros pour les grandes sociétés dépassant 43 millions d'euros de bilan ou 50 millions de chiffre d'affaires. Ces montants peuvent sembler protecteurs, mais de nombreuses exceptions existent. En effet, le plafonnement est exclu en cas de fautes légères habituelles, fautes graves, intentions frauduleuses, ou non-paiement des cotisations ONSS, TVA et précompte professionnel, rendant votre responsabilité illimitée dans ces hypothèses.
À noter : La notion de dirigeant ne se limite pas aux mandataires formellement désignés. L'article XX.225 étend la responsabilité aux dirigeants de fait, c'est-à-dire toute personne ayant effectivement détenu le pouvoir de gérer l'entreprise, même sans mandat formel. Cette notion couvre les personnes ayant exercé une influence déterminante sur la gestion, engageant leur responsabilité de manière identique aux dirigeants de droit.
Les dettes de TVA et précompte professionnel constituent le premier risque majeur pour votre patrimoine personnel. L'administration fiscale dispose d'une arme redoutable : la présomption de faute. Concrètement, si votre société n'a pas payé au moins deux dettes trimestrielles ou trois dettes mensuelles au cours d'une période d'un an, vous êtes présumé fautif selon les articles 93undecies C du Code TVA et 442quater CIR 1992.
Cette présomption de faute fiscale renverse la charge de la preuve. Ce n'est plus à l'administration de prouver votre faute, mais à vous de démontrer votre absence de responsabilité. Le tribunal de première instance de Bruges a confirmé en février 2018 la condamnation solidaire de dirigeants sur cette base, illustrant la rigueur des juridictions.
Les dettes ONSS suivent une logique différente mais tout aussi dangereuse. L'article 226 du Code de Droit Économique prévoit votre responsabilité solidaire si vous avez été dirigeant d'au moins deux sociétés ayant fait faillite ou été liquidées au cours des cinq années précédentes avec des cotisations sociales impayées. Cette disposition vise particulièrement les dirigeants récidivistes.
Exemple concret : Un dirigeant d'une société de construction bruxelloise a vu son patrimoine personnel saisi en 2023 pour un passif ONSS de 180.000 euros. Ayant dirigé précédemment une société de transport mise en liquidation avec 45.000 euros de dettes sociales trois ans auparavant, il tombait sous le coup de l'article 226. Malgré ses arguments invoquant la crise COVID-19, le tribunal a retenu sa responsabilité solidaire, confirmant que seules des circonstances tout à fait exceptionnelles peuvent justifier le non-paiement répété de cotisations sociales.
Une faute grave de gestion peut engager votre responsabilité bien au-delà des plafonds légaux. L'article XX.225 du Code de droit économique permet au curateur d'intenter une action en comblement de passif si votre faute a contribué à la faillite. Par exemple, continuer à contracter des dettes alors que vous saviez l'entreprise insolvable constitue une faute caractérisée.
L'action en comblement de passif peut vous rendre personnellement responsable de tout ou partie des dettes sociales. Le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour fixer l'étendue de votre condamnation, pouvant aller jusqu'à la totalité du passif de la société. Cette action reste ouverte pendant cinq ans à partir de la commission de la faute. Il est crucial de noter que le délai court à partir de la commission de la faute et que le droit à l'action prend fin définitivement à la clôture de la faillite, même si le délai de cinq ans n'est pas expiré.
La poursuite d'activité déficitaire représente un cas spécifique prévu à l'article XX.227. Si vous saviez ou deviez savoir qu'il n'existait manifestement aucune perspective raisonnable de redressement et que vous n'avez pas agi comme un dirigeant normalement prudent et diligent, votre responsabilité personnelle est engagée. Cette notion s'apprécie au cas par cas selon les circonstances économiques. Par ailleurs, les dirigeants doivent veiller au respect des obligations de compliance spécifiques, notamment les obligations anti-blanchiment selon l'article 505 de la loi sur la surveillance financière, ainsi que la conformité GDPR, sous peine d'engager leur responsabilité pénale, administrative et civile.
Conseil : Les dirigeants d'ASBL ne sont pas épargnés par ces dispositions. Depuis la réforme du Code de droit économique, les règles relatives à l'action en comblement de passif, la responsabilité pour dettes sociales et la poursuite déraisonnable d'activité s'appliquent intégralement aux dirigeants d'ASBL. Le tribunal de l'insolvabilité détient une compétence exclusive pour connaître de ces litiges, unifiant ainsi le régime de responsabilité entre sociétés commerciales et ASBL.
La déclaration d'insaisissabilité de votre résidence principale constitue une protection efficace contre les créanciers professionnels. Établie par acte notarié et transcrite au bureau des hypothèques, elle protège votre habitation familiale des poursuites liées à vos activités professionnelles. Attention toutefois : cette protection ne vaut que pour les dettes nées après la transcription et se limite strictement à votre résidence principale, sans effet sur vos autres biens immobiliers. En cas d'usage mixte de votre résidence (professionnel et privé), il est nécessaire d'établir un état descriptif de division par acte notarié si la partie professionnelle représente 30% ou plus de la superficie totale pour optimiser la protection patrimoniale.
Le choix de la forme juridique influence directement votre exposition aux risques. Une SRL offre une meilleure protection qu'une société simple sans personnalité juridique distincte. À l'inverse, les sociétés en nom collectif exposent votre patrimoine personnel de manière illimitée et solidaire. Pour une analyse approfondie des différentes formes sociétaires et leur impact sur votre responsabilité, consultez les services en droit des sociétés du cabinet.
L'assurance responsabilité civile dirigeants (D&O) devient indispensable dans le contexte actuel. Elle couvre vos frais de défense et les éventuels dommages-intérêts, avec des plafonds pouvant atteindre jusqu'à 12 millions d'euros selon votre activité. La couverture s'étend généralement aux fautes de gestion non intentionnelles telles que l'oubli de recommandés, le retard de dépôt des comptes annuels, ou les violations environnementales involontaires. Vérifiez particulièrement les exclusions, certaines polices excluant la couverture en cas de faillite ou limitant la protection pour certains types de fautes.
La délégation de pouvoirs permet de transférer certaines responsabilités à des collaborateurs compétents. Pour être valable, elle doit respecter des conditions strictes : domaines de compétences précis, attribution au délégataire de l'autorité et des moyens nécessaires, compétence technique et juridique du délégataire. Dans les grandes entreprises, la jurisprudence considère même la délégation comme un devoir de diligence. Néanmoins, certaines tâches essentielles restent non délégables, notamment les décisions stratégiques, la définition de la politique financière et les demandes de permis environnementaux. Le délégataire doit par ailleurs bénéficier d'une indépendance complète sans obligation d'en référer avant décision.
La documentation systématique de vos décisions constitue votre meilleure défense. Établissez des procès-verbaux détaillés pour chaque décision importante, conservez les échanges écrits justifiant vos choix, et assurez-vous que les assemblées générales et conseils d'administration soient correctement formalisés. Ces documents prouvent votre bonne gestion en cas de mise en cause.
En cas de coresponsabilité, protégez-vous en dénonçant par écrit les fautes commises par d'autres administrateurs. Cette dénonciation, adressée à tous les membres de l'organe d'administration, vous décharge de la responsabilité solidaire pour les fautes que vous n'avez pas commises personnellement.
À noter : La délégation de pouvoirs nécessite une réflexion approfondie sur la structure organisationnelle. Un dirigeant d'une PME technologique bruxelloise a récemment évité une condamnation personnelle de 250.000 euros en démontrant qu'il avait correctement délégué la gestion environnementale à un responsable qualifié, avec budget et autorité suffisants. Le tribunal a reconnu que le dirigeant avait agi avec la diligence requise en mettant en place cette délégation formalisée par écrit et accompagnée de formations régulières.
La procédure de sonnette d'alarme prévue à l'article 5:153 du CSA vous impose des obligations précises. Dès que l'actif net risque de devenir négatif ou que la société ne peut honorer ses dettes, vous devez convoquer l'assemblée générale dans les deux mois. Le non-respect de cette procédure engage votre responsabilité personnelle selon la jurisprudence de la Cour d'appel de Bruxelles.
Pour renverser la présomption de faute fiscale, plusieurs options s'offrent à vous. Sollicitez une procédure de réorganisation judiciaire, demandez la faillite ou la dissolution judiciaire si la situation l'impose, ou démontrez que les difficultés résultent de circonstances exceptionnelles indépendantes de votre gestion. La tenue d'une comptabilité rigoureuse avec des clôtures trimestrielles facilite cette démonstration.
Face à une procédure de mise en cause personnelle, réagissez rapidement. Constituez-vous un dossier de défense avec tous les documents justifiant votre gestion, sollicitez immédiatement votre assurance responsabilité civile dirigeants, et faites-vous assister d'un avocat dès le début de la procédure pour préserver vos droits.
La responsabilité des dirigeants pour les dettes de leur entreprise constitue un enjeu majeur dans le contexte économique et juridique actuel. Entre les nouvelles règles de responsabilité extracontractuelle, les présomptions fiscales et les actions en comblement de passif, les risques se multiplient pour votre patrimoine personnel. Maître Innocent TWAGIRAMUNGU, fort de son expérience depuis 2005, accompagne les dirigeants d'entreprise à Bruxelles dans la prévention de ces risques et la défense de leurs intérêts. Son cabinet offre une expertise complète en droit des sociétés, compliance et contentieux, avec une approche humaine et réactive adaptée aux enjeux de chaque situation. Si vous êtes dirigeant dans la région bruxelloise et souhaitez sécuriser votre situation personnelle face aux risques liés à vos fonctions, n'hésitez pas à solliciter ses conseils pour mettre en place les protections adaptées à votre situation.